La Conversation… « Cours-y vite, cours-y-vite… elle a filé »
- L’expression « le management de la conversation » n’est pas nouvelle. Relire entre autre Conversation Management d’Eric Shepherd … De plus, dans notre époque numérique la question est moins celle du management « en crise » ; que celle des organisations dont les composantes internes / externes forment « société en réseaux interactifs et conversants » ; ce qui perturbe nombre de contextes professionnels habitués à davantage de repères stables et tangibles.
- Voir la richesse du mot « conversation », dans le dictionnaire du Cnrtl ; ou encore la variation du modèle conversationnel sans oublier les conversations et le gestionnaire de l’espace de travail dans la composante informatique. Le tout sans omettre le comportement conversationnel humain ; et bien sûr le volet éducatif : conversation virtuelle ou littéraire [2]. A voir aussi la théorie du déclencheur de conversation [3].
Sur la conversation en contexte numérique lire les propos intéressants : « Pour une communication ouverte sublime » par Karl Dubost et en réponse directe au premier « de la servitude réseaux » par François Bon.- C’est même devenu un tag pour qualifier une information comme cet article fort pertinent : La marque sociale par InfoLab, retraçant une conférence donnée par Pierre Bellanger, fondateur et président de Skyrock., à l’occasion du séminaire Forum Média et Tendances organisé en mars dernier par Aegis Media. Le tout analysant fort bien les diverses « vie et modalités de la conversation » selon les époques :
- sociétés traditionnelles : « respect de la parole au sein de la communauté… pour créer de la confiance. »
- sociétés industrielles : « la confiance résulte d’un raisonnement qui met en équation par chacun le coût de la transgression par l’autre »… « S’y ajoute la notoriété et la réputation, propagées en une lente capillarité de bouche à oreille, par les consommateurs et poussée plus au loin par les marchands itinérants et voyageurs. »
- en économie ouverte : « la « marque » est une différenciation clé pour survivre »… « la marque n’est plus simplement l’identité d’un produit, mais une expérience, à la fois psychologique et factuelle, individuelle et collective. »… « Dans cette expérience de consommation, la part du produit, souvent interchangeable et sans cesse remplacé par de nouveaux modèles, diminue au profit du halo de services qui l’accompagne et de la relation au client qui s’inscrit dans la durée. »
- Internet : « une conversation populaire volontaire, des traces laissées par les consommateurs involontairement »… « L’expérience est le message, la clientèle en réseau est le média »… « L’organisme est un réseau social. La marque post‐Internet est un réseau social transactionnel »… « toute marque plongée dans un réseau devient un réseau elle‐même, qu’elle le veuille ou non. La réticulation est inexorable. Le déni, la résistance, la manipulation ou le simulacre n’auront pour effet que d’en accentuer les effets négatifs »… « Ce sont les publics en relation avec la marque qui vont façonner les modèles de conversation ».
- En résumé pour Pierre Bellanger « la conversation est une valeur différenciante parce qu’elle améliore l’information du consommateur et éclaire ses choix. La conversation, par ailleurs, n’est pas duplicable à volonté et gratuitement, elle résulte d’un processus humain lent et délibéré qui ne s’établit pas du jour au lendemain. »
Qui peut avoir de la Conversation ; et où en faire ?
- Préalable : la conversation est usage du langage (parole, signe)… Même si le langage est le propre de l’homme, il faut s’interroger au préalable : qui est apte à tenir conversation ? Qui a quelque chose à dire, est capable de « formuler », au moins à deux, dans un échange d’idées, de préoccupations, d’argumentaires ? Converser s’apprend dès le plus jeune âge, mais là comme ailleurs, la personnalité de chacun(e) doit être prise en compte. Converser suppose aussi une société qui encourage le débat ; or nombre de contexte professionnel ou public ont réduit le débat à un objectif appauvrissant de simple « appropriation » de discours top down ; ou de valorisation des collaborateurs ayant quelques talents oratoires.
- Est-ce au seul management de converser, parce qu’il serait en crise ou aux actionnaires de mieux signifier leurs objectifs de rentabilité ?…
- Ne serait-ce pas plutôt les modes d’organisation qui sont en crise ? Cf ci-dessus, l’évocation d’organisations devenant des réseaux sociaux ou communautaires ! N’inversons pas les termes de la question. Le management, l’actionnariat ne sont que les produits d’un mode d’organisation et d’un style de direction. Le vrai sujet c’est la capacité des nouvelles organisations à favoriser, produire de la conversation et surtout capter l’attention des cibles dans un univers saturé de produits / services et de flux d’informations … le tout en éco-systèmes et avec expériences utilisateurs…
- Les tweets et autres messages à 140 caractères, consistant principalement en des monologues de lien marketing ou non, des banalités d’usages… sont-ils des conversations (échanges de propos, sur un ton généralement familier et sur des thèmes variés, entre deux ou plusieurs personnes) ?
- Comment peut-il y avoir conversation dans une organisation alors que les jeux (séduction / négociation / défense / attaque) des parties prenantes classiques (directions et organisations représentatives) s’effritent et sont contraints de migrer pour partie sur le terrain de l’internet ?
- Pour introduire la conversation du management au sein des nouvelles organisations, faut-il : se limiter à une présence sur des réseaux sociaux internes ou externes à l’organisation ; transformer aussi les bureaux en salons ou rallonger les couloirs et autres espaces de circulation / rencontres dans les bureaux ou dans les lieux de production ; assurer la promotion des télécentres ou espaces de co-working pour les nomades ou collaborateur en télétravail au moins 2 à 3 jours par semaine ?
A moins de préférer donner pleinement la main aux usagers pour stimuler le manager comme l’actionnaire dans « son employabilité conversationnelle et sa capacité réseaux » : impulsion / activisme « débridés et sans complexe » du client envers le produit / service et utilité proposé ; évaluation / buzz sur les valeurs et l’éthique portés par le couple actionnaires / managers ?
- Que pourrait-être un management de conversation dans une organisation virtualisée… éclatée en multiples unités interactives… ? : reporting conversationnel numérisé, jeux et règles d’avatars, rythme dans les flux d’informations internes. Va-t-on vers un conversationnel « débridé » et a-localisé, du fait de l’inclusion des informations dans les vastes nuages du cloud computing, accessibles de partout ?
Après le comment et le pourquoi changer, l’heure est au « changes… ou dégages »
- S.Péters, réduit en partie le débat en parlant d’une « contradiction qui veut que la performance d’une entreprise dépende de l’engagement de ses salariés quand la recherche de cette performance aboutit à détruire la confiance nécessaire à cet engagement. » La question n’est plus d’expliquer avec conversation, le « pourquoi changer » avec ou sans « oukase avec un « on n’a pas le choix » en guise d’explication »…
- Le client internaute / usager / cible… est progressivement au même niveau que le manager, l’actionnaire ou le collaborateur. Sa confiance ou non dans le produit / service / utilité… pèse progressivement plus que les explications dans la chaîne classique de décision… Ceci d’autant que la création de valeur, comme la conversation, se situent à la périphérie de l’organisation et du produit… dans le système relationnel plus ou moins interactif et addictif avec le consommateur. On passe peu à peu et de façon décalée selon les secteurs, d’une société de l’offre à une société de la demande « immédiate », articulée autour d’internautes aptes à comparer et à zapper au gré de leur satisfaction de l’instant.
- Notre époque de flux numérique est « violente » dans la confrontation / exclusion des énergies et des employabilités à produire / consommer de l’information numérique utile aux composantes de toute organisation ; et donc à converser. Ce n’est plus seulement une question de management… Ne pas oublier qu’un mail « en direct » peut contribuer à court-circuiter une chaîne de décision… Cf aussi les dégâts que peut provoquer un tweet, produit hors de l’organisation.
- La question des « motivations » des salariés, évoquée par S.Péters ne peut se résumer à des statistiques (utiles bien sûr à rappeler) confirmant des tendances vécues par les praticiens de l’entreprise. Prenons l’exemple : « 78 % des salariés jugent « leur motivation et leurs capacités sous-utilisées » ». Dans une organisation type 20e siècle, l’affirmation statistique interpelle assurément la parole et la chaîne managériale. Dans une organisation du 21e siècle, c’est l’employabilité numérique du salarié (être de son époque, « aides toi et le ciel t’aidera », capacité à converser) qui devient le coeur du sujet. Quand le bateau est ivre… chacun(e) est d’abord face à lui-même que l’on soit manager ou non.
- Le statut salarié dans une économie numérique, comme lien contractuel de travail ne sera probablement plus la forme majoritaire de contrat de travail. « Les entreprises vont recourir de plus en plus aux services externalisés certes, mais aussi au travail en réseau (permanent ou ponctuel) avec différentes expertises elles-mêmes agissant en solo ou en petit réseau ou TPE très mobiles dans leur dimensionnement » [4].
- Les PME et TPE ont des atouts majeurs (souplesse, flexibilité, réactivité) dans ces nouvelles modalités contractuelles et ce foisonnement de micro collaborations comme donneur d’ordre ou fournisseur. Faut-il encore que les chefs d’entreprises ne cèdent pas aux sirènes / mirages des réseaux sociaux comme sésame de leur réussite ; mais confortent leur capacité conversationnelle, déjà active, en ciblant encore plus leur prise de paroles sur les réseaux communautaires de contenus.
- Sur le point majeur du respect, de l’exemplarité, de la reconnaissance, ce sont des incontournables pour les managers comme pour les « leaders » des réseaux d’aujourd’hui. Dans notre époque numérique, un internaute qui n’agirait pas ainsi… risquerait fort l’opprobre publique pour peu qu’un effet réseau soit associé. C’est bien en cela que la e-réputation « retombe » toujours sur les pratiques réelles, indépendamment des « effets de manche » de communication ou de marketing. La réputation (ce que l’on nommait dans le temps : bonne maison, maison sérieuse ou de qualité) n’est jamais si virtuelle que cela ; et c’est plutôt rassurant.
Converser en partageant : se renier ou se « construire » ?
- Converser c’est, par l’échange au moins à deux, s’enrichir du regard, des idées des autres… diront les afficionados de l’internet libre, des réseaux sociaux… Converser c’est aussi selon certains, prendre le temps d’expliquer avec pédagogie, faciliter le courbe d’apprentissage de chacun, patienter, argumenter ; alors que pour d’autres ce ne sera que perte de temps et d’argent, affaiblissement de l’ordre des choses…
- Suffit-il pour autant de « converser » pour « créer des contenus » nécessaire à l’activité des organisations ? Ce contenu que les managers réclament des pratiques numériques collaboratives, sans toujours le trouver ?
- La « conversation » impose-t-elle / implique-t-elle, l’acceptation de la diversité… Est-ce l’invitation à d’improbables rencontres dans et hors : son entreprise, son milieu social, son univers de savoirs ?
- S.Péters indique à juste titre :
- « Lorsque le travail ne peut pas être débattu, alors les individus s’en prennent entre eux aux comportements de chacun. »… ou encore « Si dans l’entreprise on ne tient pas compte de ce besoin de conversation et de contribution, alors on est dans la prescription »…
=> Mais cela sous-tend, une organisation repliée sur elle-même, ouverte aux querelles de clochers entre les entités, les fonctions, les savoirs. Est-ce encore une posture viable pour la pérennité de l’entreprise ?- "Remplacer le « toujours plus » par le « toujours mieux », pour faire de la qualité un avantage compétitif. Et arrêter l’obsession évaluatrice et la culture du résultat pour adopter celle de la médiation…
=> On peut toujours rêver d’un univers de collaborateurs vertueux avec un management artisan d’une organisation apprenante, produisant au mieux dans la ligne des directives des actionnaires… Mais si l’entreprise n’évalue rien… le client s’en chargera avec d’autant plus de vigueur et de rugosité si besoin…
- Attention plus généralement, à ne pas jouer au « Candide Numérique » :
- Situer le conversationnel managérial ou les réseaux sociaux comme « un cheval de Troie propre à redonner au travail de la capacité d’échange et mettre un terme au management militariste »… C’est sur-estimer grandement les capacités d’évolution des managers comme le rôle des réseaux sociaux. C’est surtout faire fi des différences naturelles chez les individus dans leur capacité / incapacité à s’exprimer. Chez les managers comme sur les réseaux sociaux : beaucoup sont passifs ou suiveurs des « parleurs » qui sont souvent dans leur monologue. Une différence de plus avec les réseaux communautaires porteurs d’empathie [5].
- Est-il envisageable comme l’évoque S.Péters au vu des échanges de la conférence-formation, que la raison d’être d’une entreprise soit le progrès même numérique, à l’heure même d’une finançiarisation de l’économie et d’une virtualité des organisations ?
- Dans la même veine, on ne peut adhérer pleinement à la solution par la croissance, même si le propos se veut consensuel, dans l’Edito de Jacques Floch, Président de l’Institut Kervégan de Nantes « optimisme déraisonnable, pessimisme outrancier ! » : « un optimisme déraisonnable conduit à imaginer qu’une croissance raisonnable n’est pas un cancer sociétal mais peu aider à un équilibre de vie collective support du bonheur individuel – oui les trentes glorieuses sont devant nous si l’on veut s’en donner la peine ».
- Ne pas oublier que la relation internet est une relation faible et dissymétrique (avec ponctuellement un potentiel créatif) ; alors que « conversation » définit une relation forte.
- En résumé, il ne suffit pas de déclarer « Conversons »… On ne gouverne pas une entreprise par simple conversation.
Le monde d’après… Saut dans l’inconnu, l’improbable ?
- Après le temps des appels aux « pratiques collaboratives », dont les « ratés » sont plus que nombreux, malgré les communiquants, community manager ou pourvoyeurs de solutions techniques plus adaptées les unes que les autres… ou encore la saturation des mails en tous genres…
- Viendra-t-il le temps de la « conversation » comme nouveau référent managerial ? Arborons, pour sourire , les futurs étendards de la « conversation globale » puisqu’elle semble déjà si cruciale ou simplement difficile surtout sans argument à mettre en avant… En tout cas déjà adoptée par les cabinets de conseils, par ex ici ou encore là et définie comme :« an approach designed to facilitate the creation of an ethical working relationship with any person - and to obtain maximum disclosure and results. It also enables the accurate capture of detail and is applicable in any customer facing role. »…
Solution miracle à tout ce que les managers ou les organisations n’ont jamais réussi à faire… avant !
A voir plutôt comme un simple discours, relais de croissance des activités de conseils face à un monde opérationnel plus déboussolé par le numérique que mauvais ou inapte à manager (relire la GRH dans la tourmente du numérique).
- Demeurent quelques citations à méditer, particulièrement utiles dans un monde en mutation numérique :
- « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité. » Arthur Conan Doyle - Extrait de Le signe des Quatre.
- « Chez tout acteur mêlé aux affaires du monde, les événements ne sont qu’une succession de chocs, d’émotions, de caprices, de coïncidences le plus souvent improbables. » Jacques Attali - Extrait de Verbatim III (1988-1991).
- « Toute chose qui est, si elle n’était, serait énormément improbable. » Paul Valéry.
- L’internaute peut aussi tenter d’utiliser la technologie Wave aujourd’hui en Open Source [6] positionnant la relation d’échanges comme :
- L’intervention de chacun dans la relation ne laisse aucune trace « archivée ».
- Les interventions de chacun sont syncrétisées en temps réel par tous « à sa manière ».
- Elle est symétrique.
- A voir enfin le devenir des réseaux entre le trop peu et le pas assez. Lire à ce propos l’article fort intéressant de Stefana Broadbent : « 80 % de nos échanges se font toujours avec les mêmes 4-5 personnes » : Plus que de nous relier au « Village Global », tous les canaux de communication que nous utilisons servent avant tout à communiquer avec une poignée de gens très proches se résumant le plus souvent au cercle familial. Elle montre ensuite l’aliénation que représente la séparation artificielle entre la vie privée et la vie professionnelle et combien nos pratiques de communication personnelle durant l’activité professionnelle cherchent à rétablir l’équilibre affectif duquel nous sommes exclus. Le livre défend la thèse que plutôt que de chercher à restreindre la communication personnelle sur les lieux de travail, les organisations auraient intérêt à la faciliter, car elle est fondamentalement bénéfique au travail et à l’apprentissage.
Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, l’innovation sociale dans les comportements de communication n’a jamais été dans l’extension des contacts, mais d’abord dans la continuité, l’approfondissement.
Voir en note, la relation entre attention demandée et outil utilisé [7].
Le vrai Cheval de Troie : le langage
- Celui de l’éducation… Cet apprentissage / acquisition du langage dès l’enfance (oral comme écrit), richesse des mots, des concepts, des signes… signe de la pensée, de la maturité, de l’interaction… permettant d’entrer en conversation… et de créer / formuler des contenus…
- Celui de l’Autre (celui auquel on ne pense pas toujours), dans une société déportant la création de valeur… des ressources classiques (techniques, physiques, humaines)… vers la périphérie : clients, usagers, expériences.
- Celui de l’employabilité langagière : moins par les métiers ou les aptitudes techniques… que par la capacité à tenir une conversation structurée (ce que ne sont pas les tweets ou paroles sur forums). C’est d’abord de cette employabilité langagière que dépendent : « l’affirmation de soi, l’implication de chacun et l’engagement du plus grand nombre dans la coconstruction d’un projet d’entreprise au quotidien ». Et que dire de cette employabilité dans une société numérique, principalement de l’écrit, favorisant la virtualité, l’éloignement des relations… ; et demain les interfaces tactiles dans un univers d’objets communiquants.
- Celui d’une société du dialogue et du débat… qui accepte la différence et fait de la diversité des regards le ferment des horizons à découvrir, des innovations produits / services / usages et des sociabilités.
Développer les capacités et pratiques du langage / conversation ne peut se limiter à conforter des « discours vendeurs » de la part de managers, en relais des objectifs des actionnaires. Liberté, réactivité et prise de paroles sont particulièrement liées dans une société et une économie numérique : ceci tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation. Ce qui fonde l’adhésion à une communauté, à des valeurs… c’est l’usager et pas seulement les discours et pratiques du manager.La question d’un management de la conversation est de choisir entre Clic et Déclic :
- Se cantonner à quelque clics censés moderniser les discours et pratiques manageriales de conversation.
- Avoir un vrai déclic pour conduire le changement de paradigme : contextualiser selon la nature de l’organisation [8], la place accordée au client / usager ; et l’employabilité langagière des collaborateurs dans une société de flux numériques.