L’Etat au cœur, Le Meccano de la gouvernance - Pierre Calame et André Talmant

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Fiche Ressources DLD N°920-635

L’Etat au cœur, Le Meccano de la gouvernance - Pierre Calame et André Talmant


Références ou Coordonnées

Le mot de « gouvernance » me paraît pollué d’effets de mode et médiatiques. Il est sans doute nécessaire d’en rappeler le sens originel en français afin de le manier rationnellement (Littré) :

  • Juridiction qui existait dans quelques villes des Pays-Bas et à la tête de laquelle était le gouverneur.
  • Place de gouvernante.

 
Le terme fut modernisé par Léopold Sédar SENGHOR, vers les années 1960, afin de qualifier le rôle politique qu’il entendait jouer dans l’administration de son pays.
L’acception anglo-saxonne reste plus proche de l’étymologie latine de gouvernail dans la manière de conduire les affaires publiques. Donc, du concept technique de cybernétique. Pierre Calame et André Talmant sont de hauts fonctionnaires du Ministère de l’Equipement ; encore plus intéressant, ils ont commis leur ouvrage dans le cadre de la Fondation pour le Progrès de l’Homme (de droit suisse) dont Pierre Calame est le Président français. On peut dire que leur ouvrage, L’ETAT AU CŒUR, entreprend de construire l’objet « gouvernance » plutôt que d’en faire une définition sémantiquement impeccable (Les géographes aiment en général la démarche de création d’objets bien définis et robustes). Ils le débutent par une définition a priori : « La gouvernance, c’est la capacité des sociétés humaines à se doter de systèmes de représentation, d’institutions, de processus, de corps sociaux pour se gérer elles-mêmes dans un mouvement volontaire. ». La thèse première de cet ouvrage me paraît le constat du renversement des rapports de force entre, pour faire simple, « la société » et « la nature » depuis 200 ans en matière d’administration publique (évolution que nous constatons aussi en passant de la géographie physique à la géographie humaine). Du coup, nous passons d’une société où le rôle de l’Etat pouvait se borner à l’établissement de normes suffisamment équitables et générales pour tous les citoyens à une société où l’Etat devrait faire fonctionner, en interaction harmonieuse, trois types de systèmes complexes : les systèmes bio-écologiques ; les systèmes socio-culturels, les systèmes techniques. Et les auteurs entreprennent de construire la gouvernance, cet ensemble de bon processus qui permettraient de conduire cette interaction harmonieuse.

En trois chapitres, ils exposent « les entrées en gouvernance », plutôt avec le sens de « entrer en religion » qu’avec celui de trois manières de construire l’objet ; avec l’opérateur logique ET :

  • L’entrée en intelligibilité (chap 2).
  • L’entrée en dialogue (chap 3).
  • L’entrée en projet (chap 4)

 
Où l’on voit apparaître l’Etat, avec comme première fonction d’« élucideur du réel » mais, d’abord, au bénéfice des citoyens. Fi aux études occultes qui permettent aux décideurs de traiter de haut l’ignorant administré : « L’effort d’intelligibilité doit bénéficier en premier lieu aux personnes directement concernées elles-mêmes » ! L’entrée en dialogue part du constat que toutes les situations difficiles reposent sur des constantes structurelles (par type de problèmes) qui s’imposent aux acteurs de terrains mais que, a contrario, chaque acteur porte en lui une irréductible différence ; c’est à dire, qu’aucune proposition normée, livrée clef en main, n’a de chance d’être intégrée par l’ensemble des acteurs. Le dialogue (qui est autre chose que le débat démocratique, plus l’élection de représentants) consiste donc à analyser et reconnaître les contraintes, puis à définir le résultat de l’action. Les acteurs de terrains restent maîtres des choisir les réponses à mettre en œuvre. La forme prime le fond : très logique dans une organisation de l’Etat qui met en œuvre des pouvoirs régaliens ; mais cela veut dire que l’Etat propose une procédure chaque fois qu’il propose une objectif alors que dans la conduite de projet nous avons besoin du bon processus (ou le fond prime la forme) qui permette d’aboutir le projet dans le temps, voire de le modifier en temps réel. Pour être un peu théorique, le processus de projet est (par définition) une démarche heuristique alors que la procédure est une démarche de type algorithmique.
Le chapitre 5 traite du « Comment gouverner un monde complexe » en se basant sur l’approche systémique et les différentes entrées en gouvernance analysées.
Le chapitre 6, en proposant de passer du principe du partage des responsabilités à l’organisation de la responsabilité partagée, définit un moyen opérationnel de réaliser la gouvernance construite : la subsidiarité active, basée sur l’hypothèse d’une organisation fractale du système monde à chaque échelon et sur l’hypothèse de l’existence de constantes structurelles à tous les systèmes rencontrés quel que soit l’échelon observé.

Qu’apporte cette construction de la gouvernance au géographe (qui s’occupe de développement local (durable)) ?
A mon avis :

  • L’administration des systèmes complexes porte sur les mêmes objets que ceux qu’étudient les géographes : les systèmes géographiques, qui combinent chacun d’une manière unique un système biophysique singulier, un système social singulier et un système technique singulier.
  • Il est intéressant de considérer les systèmes géographiques comme ayant une évolution à construire. Non déterminée ; à la fois, selon les cas, possible ou/et contingente.
  • L’hypothèse des constantes structurelles rejoint celle du faible nombre de variables indépendantes qui mesureraient (dont dépendraient) l’activité des systèmes complexes (mise en évidence dans les systèmes physico-chimique. (vérifiée, cette hypothèse met hors jeu la construction de batteries d’indicateurs).
  • L’hypothèse d’une fonction fractale d’organisation des différents échelons de l’espace rendrait pertinent et généraliserait les conclusions mises en évidence au niveau d’observation (ou de construction) local de base. Elle donnerait à cet échelon un rôle équivalent à l’échelon mondial. De plus, elle confie aux individus pouvoir sur leur avenir, à condition de s’inscrire dans une action pertinente et une stratégie de coopération entre acteurs.

 
Dans mes décennies d’activité fonctionnaire, je n’ai jamais rencontré de collègues qui nourrissent une telle réflexion sur les fins dernières de leur mission professionnelles, comme le font Pierre Calame et André Talmant. Sans doute ai-je manqué à la fois de clairvoyance et bienveillance. Les meilleurs d’entre nous tenaient le discours rigoureux du service public et tâchaient, avec plus ou moins de bonheur, de régler les conflits de logique (qui animent à tout instant la vie d’un hôpital public) afin d’amener le meilleur de l’humain à ceux qui, perdus dans le système, souffraient. Cela empêche peu l’institution de poursuivre sa course absurde. Chacun trouvera plaisant qu’une démarche si novatrice émerge de la multi-séculaire administration des Ponts et Chaussée et renouvelle les perspectives.


Pierre Calame et André Talmant, L’Etat au cœur, Le Meccano de la gouvernance, Ed. Desclée de Brouwer, Paris 1997, ISBN : 2-220-04054 -2, 212 pages.



par Bernard Garrigues le 8 juillet 2002
modifie le 12 mai 2011
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